3 - PATHOGENIE DES TRAUMATISMES EN FONCTION DES DYSMORPHOSES DENTO-FACIALES


3.1 - Introduction

Selon WOUTERS (65), une enquête nationale de santé bucco-dentaire portant sur plus de 144 000 enfants, montre que 42,3% d'entre eux présentent une dysmorphose dento-faciale.

Il nous semble donc primordial de connaître leur incidence sur les risques traumatiques. Il nous paraît important de souligner les deux principaux facteurs responsables d'une plus grande exposition aux traumatismes :

- il s'agit en premier lieu de la situation du bloc incisivo-canin supérieur et surtout de l'incisive centrale par rapport à l'ensemble de la face, de l'intégration ou non de ces structures fragiles dans une ligne de profil protectrice. Les protrusions, les vestibuloversions, les supraclusions, sont des critères de prédisposition certains. Nous détaillerons tout ceci ;

- la deuxième notion découle de l'analyse de l'espace libre d'inocclusion et du chemin de fermeture.

L'espace libre d'inocclusion :

Il est induit par la position de repos de la mandibule : c'est la position, indépendante des dents, qu'occupe dans l'espace la mandibule, en dehors de toute contraction musculaire, chez un homme au repos respirant par le nez, sa tête ne reposant sur aucun appui.

Cette position détermine un espace entre les dents (environ 2 millimètres) qui s'appelle espace libre d'inocclusion.

Le chemin de fermeture :

C'est le trajet que fait la mandibule depuis la position de repos jusqu'au premier contact dentaire sous l'effet d'une contraction normalement isométrique des muscles élévateurs.

Comme nous le verrons dans le chapitre sur les mécanismes et les effets des coups, il est très important que le sportif soit au moment du choc dans une position d'engrènement dentaire.

Plus le chemin de fermeture est long, moins il pourra établir le contact rapidement en contractant les muscles élévateurs ou de manière automatique.

C'est la source de violents chocs inter-arcades, et de traumatismes imputables à cette situation de mandibule "flottante", dèsolidarisée du maxillaire supérieur qui agit comme un véritable projectile.


3.2 - Traumatismes et anomalies dans le sens sagittal

3.2.1 - Anomalies de classe II squelettiques

L'un des problèmes majeurs réside dans la vulnérabilité des incisives supérieures situées dans une position très exposée de part la rétrognathie. D'autant plus qu'on trouve associées à cette anomalie une proalvéolie, ou une vestibuloversion incisive.

Le second problème est lié à l'espace libre d'inocclusion souvent trop important en classe II, avec une position relativement basse et reculée de la mandibule. Le contact dento-dentaire est difficile à établir sur un impact, et nous trouvons des chocs inter-arcades brutaux.

L'addition de ces deux facteurs prédisposant aux traumatismes, fait des classes II le type de dysmorphose le plus exposé.

3.2.2 - Anomalies de classe III squelettiques

Dans ces cas, le chemin de fermeture est toujours assez réduit, et l'engrènement sur un coup est automatique, rapide et généralement sans grand heurt traumatisant. La situation " privilégiée " des incisives supérieures en linguoversion, protégées par une sangle orbiculaire tonique et le rempart incisif inférieur, permet de ne compter que d'exceptionnelles atteintes traumatiques de cette zone, sauf dans les cas les plus critiques de situation en bout à bout incisif.

On note souvent une macroglossie s'inscrivant dans un contexte de déglutition primaire qui situe la langue entre les arcades dentaires et accentue les risques de morsures ou de sections par choc en fermeture de la mandibule.

Les anomalies de classe III squelettique placent donc les sportifs qui les subissent en situation plutôt favorable vis-à-vis d'un coup potentiellement traumatisant.

3.2.3 - Anomalies alvéolaires antérieures de classe I squelettiques

Anomalies n'engageant que les groupes incisivo-canins supérieurs et inférieurs, les molaires étant en classe I d'angle, sans décalage des bases osseuses.

3.2.3.1 - Proalvéolies incisives et incisivo-canines supérieures

On risque surtout des fractures coronaires et des luxations partielles ou totales du bloc incisivo-canin supérieur, par choc direct, frontal, ou latéral. L'incompétence labiale secondaire va à l'encontre d'une protection de tout ce secteur exposé aux chocs.

3.2.3.2 - Rétroalvéolie incisive supérieure

Le plus souvent on trouvera associé une inversion d'articulé incisif. Le risque traumatique majeur se situera en denture mixte, dans la période transitoire de passage en bout à bout incisif, sous l'effet de l'appareillage d'ODF corrigeant l'anomalie.

3.2.3.3 - Rétroalvéolie inférieure

Parlons uniquement du cas de bi-rétroalvéolie, où l'interposition de la lèvre entre les deux arcades est le principal facteur de risque. Par contre, la position en retrait du bloc incisivo-canin supérieur et inférieur, permet d'éviter l'exposition de ce secteur.


3.3 - Anomalies dans le sens transversal

3.3.1 - Insuffisance de développement transversal

L'endognathie et l'endoalvéolie sont des affections symétriques ou non.

On peut parfois observer le "syndrome de CAUHEPE et FIEUX" caractérisé par l'association de trois signes cliniques :

- déglutition infantile persistante,
- endoalvéolie supérieure,
- latéro-déviation mandibulaire avec anomalie transversale du chemin de fermeture.

Les risques sont bien sûr des atteintes perpétuelles de cette langue en position inter-arcades, lors de chocs portés de bas en haut. Le mauvais articulé postérieur (articulé inversé) et le décalage incisif favoriseront les fractures coronaires et cuspidiennes par chocs inter-arcades.

La latéro-déviation mandibulaire et l'ouverture buccale accentuée lors de l'effort seront des facteurs majeurs de risques : le " projectile " mandibulaire sera encore plus vulnérable lors des coups.

3.3.2 - Excès de développement transversal

Les exognathies et exoalvéolies sont des pathologies exceptionnelles, le plus souvent dues à des expansions transversales mal surveillées, ou à des macroglossies.

Sur le plan traumatologique, les problèmes seront dentaires et postérieurs, avec surtout des fêlures cuspidiennes et de petites fractures. Nous pourrons constater des morsures à la joue revêtant un caractère récidivant, allant jusqu'à de grosses contusions en cas de chocs latéraux (les cuspides molaires étant très agressives par manque d'articulé). La morsure de la langue figure une nouvelle fois parmi les troubles observés.


3.4 - Anomalies dans le sens vertical

3.4.1 Supra-alvéolie incisive

A l'occasion d'un choc trop violent, la gencive vestibulaire et la muqueuse palatine rétro-alvéolaire pourront être lésées à cause de leur rapport anormaux avec les dents antagonistes.

Les fractures coronaires incisives seront très fréquentes, et la réduction des procès alvéolaires favorise les luxations dans les zones antérieures.


3.4.2 - Infra-alvéolie

Nous trouverons des morsures linguales à cause de l'interposition inter-arcades fréquente ou systématique de la langue.

3.5 - Autres anomalies

3.5.1 - Dysharmonies Dento-Maxillaires (D.D.M.)

Nous distinguerons deux cas :

- microdontie relative :
L'isolement des dents rend le rempart alvéolo-dentaire moins efficace et les chocs seront plus traumatisants. Les dents réagissent alors en valeur individuelle,

- macrodontie relative :
L'encombrement dentaire augmente les risques en chocs directs (fractures d'angles incisifs) et indirects (chocs inter-arcades dus aux prématurités).

3.5.2 - Dents de sagesse

Selon KARMAN (31) : " toutes les dents incluses fragilisent l'os maxillaire (supérieur ou inférieur ) ". En fait ce sont les inclusions mandibulaires qui apparaissent surtout dangereuses.

Soulignons bien le rôle si néfaste et reconnu, des sagesses inférieures dans les fractures de l'angle mandibulaire, ainsi que l'obligation de les extraire chaque fois qu'elles risquent de ne pas prendre place normalement sur l'arcade. De nombreux auteurs s'accordent à dire qu'il faut extraire systématiquement tout germe de dent de sagesse chez le jeune sportif pour éviter toute complication future éventuelle.

Nous suggérons plutôt une attitude réfléchie au cas par cas. La radiographie panoramique utilisée de façon systématique dès 15 ans, en complément de l'examen clinique permettra de poser les véritables indications. L'évolution de cette dent se réalisera sans complication s'il y a un espace osseux et un espace muqueux suffisants, et un axe d'évolution favorable.

3.6 - Rôle de l'occlusion incisive

Cette occlusion incisive tient une place déterminante dans notre travail. Même si, comme nous l'avons vu, de nombreux facteurs entrent en jeu pour expliquer certains traumatismes, la position de l'incisive sur l'arcade, et les rapports verticaux et sagittaux des incisives supérieures et inférieures sont des critères fondamentaux de prédisposition à la traumatologie sportive.

3.6.1 - Les problèmes liés à la protrusion

GLUCKMAN (24) (1941), SWEET (61) (1942), ELLIS (1945) cité par O'MULLANE (49) rapportent déjà dans leurs études que la protrusion incisive entre dans les facteurs prédisposants à la traumatologie bucco-dentaire.

En 1973, O'MULLANE (49) étudie cette relation et offre des chiffres intéressants : ses patients se trouvant en classe II division 1 d'Angle ont un pourcentage de lésions des incisives permanentes de 19.5%, et les autres patients de 11.3% .

MONGAIN M., du service de CHATEAU (6), effectue une étude intéressante en 1979.
Elle mesure la distance " d ", entre le bord incisif supérieur et la ligne esthétique de RICKETTS. Elle utilise un instrument rectiligne appuyé en position médiane sagittale, du nez au menton (tangentiellement à la ligne de RICKETTS), avec un curseur perpendiculaire évaluant le " d ".

Sur une population d'enfants de type européen, elle trouve un " d moyen " de 11.1 millimètres et conclut que plus son " d " augmente plus les risques de fractures augmentent.

3.6.2 - Le problème des vestibuloversions

Elles semblent également fortement favoriser la fréquence des fractures incisives. Leur proéminence en fait souvent la première zone faciale touchée lors d'un choc, et leur implantation parodontale paraît souvent fragile.

3.6.3 - Le problème des supraclusions

Les répercussions sont toujours moindres que pour le problème précité, mais on observe dans ce cas plus de lésions du fait des contacts anormaux des incisives dans les fonctions physiologiques, et plus encore lors des chocs.
Pour JACKSON (cité par PHILIPPE (in 25), 1979), l'augmentation du recouvrement incisif répond également à l'élévation du bord labial supérieur. La protection assurée par les lèvres est donc moindre et le risque de lésion s'accroît.


3.7 - Rôle des lèvres

La fréquence des traumatismes varie considérablement selon l'occlusion ou l'inocclusion labiale.

Pour RAVN J.J (54) , 25 % des cas de fractures présenteraient une inocclusion labiale. Cela confirme les travaux de MC EWAN J.D. et HUGH H.G. (1967) cités par O'MULLANE (49).

En 1973, O'MULLANE (49) souligne la prévalence des traumatismes des incisives permanentes en cas d'incompétence labiale. Il ajoute qu'elle augmente avec des enfants de douze ans et moins, et tend à décroître avec l'âge.

MONGAIN (6) confirme l'importance des lèvres à travers l'étude du type morphologique négroïde, où les proalvéolies sont fréquentes, et où les tissus labiaux sont très volumineux. Il observe que ces patients ne semblent pas plus sujets aux fractures.

PAYRAUD M. (cité par HAGER (25)), dans une étude orthodontique du profil du jeune adolescent africain, rend encore plus certaine la théorie de l'importance des lèvres dans la protection du bloc incisivo-canin.

La morphologie labiale est donc déterminante : en cas de microchéilie, les lèvres ne peuvent jouer le rôle de coussins amortisseurs pour les incisives ; en cas de macrochéilie, elles constituent une protection relativement efficace.

Soulignons ici à nouveau l'importance de l'occlusion labiale.

3.8 - Rôle du nez et du menton

L'étude de la ligne du profil, et du rapport position nez-menton/exposition des dents aux traumatismes, est une idée reprise par de nombreux auteurs.

RICKETTS (cité par HAGER (25)) définit la ligne esthétique (ligne E) comme une droite joignant le point pronasal au point pogonion. Elle permet de situer la lèvre dans le profil (et de suivre leur évolution en fonction de l'âge), établit un critère d'harmonie du visage et de protection mécanique des incisives centrales.

Si les lèvres tiennent avant tout un grand rôle pour le type " négroïde ", la ligne esthétique et les lèvres en tiennent également un pour le type " caucasien ".

Le nez protège peu les jeunes enfants, mais joue beaucoup à la fin de l'adolescence du fait de la croissance : en effet il se développe en bas et en avant jusqu'à l'âge de 18 ans. Son pic de croissance, lorsqu'il existe, est précoce chez les filles (12 ans) et plus tardifs chez les garçons (13 à 14 ans) selon SUBTELNY (1959), cité par LEJOYEUX (44).


Selon CHACONAS (1969), cité par LEJOYEUX (44), les patients de type classe I d'Angle auraient un nez à profil droit à croissance plutôt horizontale. Les patients de type classe II d'Angle auraient, quant à eux, un nez à profil convexe à croissance plutôt verticale. Ce nez fuyant favoriserait peu la protection incisive.

Le rôle du menton est évident si l'on en juge par l'exemple d'une classe III où il participe pleinement à la protection.

En tout cas, CHATEAU (6) définit clairement la ligne esthétique de RICKETTS, comme une véritable "ligne de protection".

Nous retiendrons donc principalement que nez et menton remplissent un rôle protecteur important dont l'efficacité dépend de leur proportions respectives et surtout de la situation incisive.

Thèse - Chapitre 3